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Le 14 mai, le Conseil fédéral a dévoilé les grandes orientations de l’accord sur l’électricité envisagé dans le cadre des négociations avec l’Union européenne. Parmi les mesures clés figurent l’ouverture complète du marché à tous les consommateurs finaux, la garantie d’un approvisionnement de base fiable, ainsi que l’introduction de dispositifs renforcés de protection des consommateurs.

Qu'est-ce que cela signifie pour les fournisseurs d'énergie suisses ?

Avant tout, une incertitude importante, car l’issue de la libéralisation dépendra très probablement d’un vote populaire. Et cette incertitude a des répercussions directes sur le domaine IT : les projets liés à l’ouverture du marché ne peuvent pas être lancés du jour au lendemain.

C’est pourquoi il est dès à présent essentiel d’analyser, de planifier et de prioriser les investissements numériques, indépendamment du résultat final. Dans ce blog, j’examine quels projets IT présentent une réelle valeur stratégique, quelle que soit l’issue du scrutin.

Notre qualité de vie en Suisse repose en grande partie sur un approvisionnement en électricité sûr, continu et économiquement accessible. Les événements récents, comme la panne de courant survenue en Espagne et au Portugal fin avril, rappellent à quel point nos réseaux sont vulnérables. Même un black-out de courte durée peut avoir des répercussions considérables à l’échelle nationale.

Les dirigeants des entreprises d’approvisionnement en énergie doivent aujourd’hui jongler avec de multiples priorités : assurer la sécurité de l’approvisionnement, atteindre les objectifs climatiques de neutralité carbone, développer une production d’électricité renouvelable et décentralisée, ou encore améliorer l’efficacité énergétique. À cette complexité croissante s’ajoute désormais la perspective d’une libéralisation complète du marché. Dans un secteur aussi réglementé que le leur, ces enjeux ne peuvent être relevés qu’à l’aide de solutions numériques puissantes et adaptées. La question n’est donc plus de savoir s’il faut investir dans le numérique, mais plutôt où concentrer les efforts — et à quel moment.

Besoins en investissements informatiques

Grâce à notre longue expérience auprès des fournisseurs d’énergie en Allemagne, nous disposons d’une connaissance approfondie des défis liés à la libéralisation du marché. Forts de cette expertise, nous avons identifié cinq domaines d’investissement stratégiques pour les entreprises suisses qui souhaitent se préparer dès maintenant à cette transformation structurelle :

1. Moderniser l’infrastructure IT et la gestion des données

  • Déploiement des compteurs intelligents : Les compteurs intelligents sont un levier indispensable pour introduire des tarifs dynamiques, optimiser la consommation énergétique et participer aux marchés de flexibilité. Leur déploiement à grande échelle, ainsi que leur gestion technique et opérationnelle, doit figurer parmi les priorités majeures des fournisseurs d’énergie.
  • Écosystèmes de données et interopérabilité : La construction d’une infrastructure de données moderne, interopérable et sécurisée est essentielle. Ce type de plateforme agit comme une véritable « plaque tournante » de la donnée, capable de soutenir la facturation des garanties d’origine, la valorisation des flexibilités sur les marchés, ou encore l'automatisation des échanges inter-organisations, etc.
  • Conformité aux exigences de cybersécurité (LSI) : La nouvelle Loi sur la Sécurité de l’Information (LSI, OApEl art. 5a) impose des exigences minimales en matière de cybersécurité, notamment pour les opérateurs d’infrastructures critiques. Leur mise en œuvre rapide est impérative pour garantir la résilience des systèmes dans un contexte de digitalisation accélérée.

2. Digitalisation des processus de marché et de la relation client

  • Portails clients et services en libre-service : Avec la libéralisation, les attentes des consommateurs évoluent. Il devient essentiel de proposer des portails clients intuitifs permettant à chacun de gérer ses contrats, choisir son fournisseur ou son tarif, consulter ses garanties, et effectuer des démarches en toute autonomie.
  • Facturation numérique et gestion contractuelle avancée : L’introduction de modèles tarifaires dynamiques, l’essor des accords d’achat d’électricité (AAE) et les formes d’approvisionnement structuré nécessitent des solutions de facturation agiles et des systèmes de gestion des contrats capables de s’adapter à cette diversité croissante.
  • Ouverture aux acteurs du marché énergétique : Les systèmes d’information doivent s’ouvrir aux nouveaux acteurs du marché (agrégateurs, centrales virtuelles (VPP), fournisseurs alternatifs) via des API et interfaces standardisées et sécurisées. Cette interopérabilité est un prérequis pour un marché ouvert, fluide et concurrentiel.

3. Gestion de la flexibilité et optimisation du réseau

  • Tarification dynamique pour le réseau : L’introduction de tarifs dynamiques, tant pour l’utilisation du réseau que pour l’injection décentralisée, nécessite une gestion précise via les systèmes informatiques. Ces tarifs permettent de mieux piloter les flux énergétiques et d’équilibrer la charge du réseau.
  • Marchés flexibles et centrales virtuelles (VPP) : Le développement de plateformes numériques dédiées à la commercialisation de la flexibilité – incluant le stockage d’énergie, la mobilité électrique ou encore les pompes à chaleur – est un levier clé pour valoriser les capacités décentralisées et optimiser le réseau.
  • Gestion intelligente de la charge et réduction des pics (Peak Shaving) : L’intégration de solutions avancées de gestion de la charge permet d’atténuer les pics de consommation. Ces outils sont essentiels pour une planification et une exploitation efficaces du réseau dans un contexte de transition énergétique.

4. Exigences réglementaires et transparence

  • Séparation claire entre approvisionnement de base et approvisionnement sur le marché : La mise en place de portefeuilles distincts pour les segments réglementés et concurrentiels est indispensable. Cette séparation doit s’accompagner d’une gestion intégrée et structurée pour garantir conformité et efficacité opérationnelle.
  • Transparence tarifaire et communication client : Il est crucial que les clients disposent d’une information claire et compréhensible sur les évolutions tarifaires. Une communication transparente renforce la confiance et facilite l’adoption des nouveaux modèles tarifaires.

5. Coopération et économies d’échelle

  • Pools d’achat et plateformes mutualisées : Pour les petites entreprises d’approvisionnement en énergie, le regroupement pour l’achat d’énergie ainsi que le partage de solutions informatiques communes permettent de réduire les coûts et d’accroître l’efficacité opérationnelle.
  • Externalisation de fonctions spécialisées : La délégation de processus complexes, tels que la gestion des données, la commercialisation des services système (SDL) ou la facturation spécialisée, facilite la concentration sur le cœur de métier tout en garantissant une expertise pointue.
  • Standardisation et approche API-First : L’adoption de standards ouverts et d’interfaces API facilite l’intégration fluide des partenaires et des systèmes tiers, favorisant ainsi un écosystème numérique agile et évolutif.

Leçons tirées de la libéralisation du secteur énergétique allemand

En 1998, des modifications apportées à la loi allemande sur l’énergie (EnWG) ont instauré pour la première fois le dégroupage comptable, marquant la séparation des activités de réseau, de distribution et de production. Ce processus a été renforcé en 2005 par un dégroupage juridique, organisationnel et informationnel, obligeant à démanteler les structures verticalement intégrées établies de longue date.

Le principal défi résidait dans le dégroupage informatique : il s’agissait de séparer strictement les données sensibles liées au réseau des activités commerciales de distribution et de production. Les systèmes informatiques, souvent monolithiques, ont dû être adaptés à coût élevé ou remplacés par des solutions distinctes répondant aux nouvelles exigences réglementaires. Ce chantier a impliqué des transformations technologiques, mais également une évolution culturelle au sein des entreprises, ainsi que la mise en place de processus de communication formalisés afin de garantir une gestion équitable et transparente des interactions entre acteurs du marché.

L’expérience allemande souligne que la réussite d’un tel projet repose sur une planification anticipée et structurée, menée par des équipes interdisciplinaires, associée à une gestion du changement approfondie et une communication interne efficace pour mobiliser les collaborateurs.

Conséquences et enseignements pour l’informatique liés aux conversions à l’unbundling

1. Émergence d’une architecture informatique orientée services (SOA) : L’unbundling a marqué une rupture majeure vers des architectures informatiques modulaires, centrées sur les processus et services, avec des interfaces clairement définies. Cette approche a permis de fournir des services non discriminatoires tant aux entités internes distinctes qu’aux acteurs externes du marché.

2. Centralité de la gestion et de la sécurité des données : La séparation rigoureuse des données réseau et distribution a placé la gouvernance des données au cœur des priorités. Il a fallu définir des droits d’accès précis, instaurer des cloisonnements stricts (souvent qualifiés de « murailles de Chine ») et renforcer la sécurité de l’information et la protection des données, anticipant notamment les exigences du RGPD.

3. Standardisation et interopérabilité : Pour garantir un échange impartial et fluide des données avec tous les acteurs, la standardisation des formats et protocoles est devenue indispensable — d’abord avec EDIFACT, puis avec des services web modernes. L’informatique a dû assurer l’interopérabilité des systèmes dans cet environnement hétérogène.

4. Agilité dans le développement IT : Face à des exigences réglementaires en constante évolution, l’informatique a adopté des méthodes agiles, permettant des cycles d’adaptation plus courts et une capacité accrue à réagir rapidement aux nouvelles directives.

5. Coûts et complexité : moteurs de l’externalisation et du cloud : Les coûts élevés liés à la gestion de systèmes IT distincts, conjugués à une complexité croissante, ont conduit les fournisseurs à privilégier des modèles d’externalisation et, ultérieurement, des solutions cloud, tout en respectant strictement les impératifs de sécurité et de conformité.

La capacité à gérer les données de manière sécurisée, séparée et standardisée est ainsi devenue une compétence IT stratégique clé.

Première étape : petite mais de grande portée

L’analyse des besoins d’investissement révèle des volumes importants et une forte interdépendance entre les différents composants. Pour prendre des décisions éclairées face à ces enjeux complexes, il est essentiel de disposer d’une vision claire et transparente du paysage numérique global de l’organisation, allant des processus métiers aux systèmes informatiques.

C’est là qu’intervient l’Enterprise Architecture Management (EAM). Cette discipline, largement éprouvée en pratique, prend de plus en plus d’importance à mesure que les entreprises l’adoptent pour analyser et piloter leur transformation numérique.

L’approche EAM, structurée en quatre phases, permet d’identifier précisément l’architecture d’entreprise actuelle, les liens entre les éléments et les activités, les points de génération des données ainsi que la répartition des responsabilités.

D’après notre expérience, cette base structurante fait souvent défaut dans de nombreuses organisations. Pourtant, investir dans cette étape fondatrice est une condition sine qua non pour assurer une gestion active et une mise en œuvre cohérente des initiatives ultérieures.

Cette démarche garantit non seulement une allocation optimale des ressources, mais aussi une maîtrise rigoureuse des risques à chaque phase du projet.

Bien définir ses priorités

La priorité absolue doit être accordée aux investissements dans les applications spécialisées de l'IT ainsi que dans leur infrastructure de données sous-jacente. Cela résulte notamment des exigences légales et réglementaires, avec des délais parfois contraignants à respecter. Par ailleurs, des plateformes de données robustes sont indispensables à la gestion des garanties, à assurer la facturation conforme et au traitement des contrats d’achat d’électricité (AAE) et, à terme, à faire évoluer à grande échelle les processus de changement de fournisseur.

En parallèle, ou au plus tard dans une seconde phase, l’ensemble des processus de marché ainsi que les interactions avec les clients doivent être numérisés. Cela comprend notamment les portails clients dotés de véritables fonctionnalités en libre-service (et non de simples fonctions d’auto-administration, car personne n’aime réellement « s’administrer soi-même »), la facturation numérique & la gestion automatisée des contrats, ainsi que l'intégration fluide des prestataires tiers, tels que les producteurs photovoltaïques, les solutions de stockage ou encore la mobilité électrique (dans la mesure où ces services ne font pas déjà partie du portefeuille interne de l’entreprise).

Nous accordons une priorité moyenne aux investissements liés à la gestion de la flexibilité et l'optimisation du réseau. Ces initiatives permettent de limiter les coûts liés à l'extension du réseau tout en ouvrant la voie à de nouveaux modèles commerciaux. Dans ce contexte, il convient naturellement d’évaluer la capacité du réseau à tolérer un éventuel « temps d’attente », notamment face à l’augmentation prévue de la charge.

Les actions à envisager dans ce domaine incluent notamment l'introduction de tarifs de réseau dynamiques (dans la mesure où les fondements réglementaires sont établis), la mise en place de tarifs de rachat flexibles pour les installations photovoltaïques, la gestion de la charge pour les usages tels que l'e-mobilité et les pompes à chaleur (notamment via des mécanismes de peak shaving) et la préparation à l'accès aux marchés de la flexibilité.

Garder un œil sur les opportunités liées aux données et à l’IA

ans ce contexte, les données et l’intelligence artificielle ne doivent en aucun cas être négligées. Ce qui est certain, c’est que la quantité de données disponibles continuera d’augmenter. Elle sera portée par la transformation du modèle de production vers un approvisionnement électrique décentralisé, par l'électrification croissante des secteurs comme la mobilité et le chauffage, par l’émergence de nouvelles solutions de stockage et par la mise en réseau de l’ensemble de ces systèmes.

Cela rend indispensable une valorisation intelligente des données, à des fins multiples et à forte valeur ajoutée. Dans cette optique, il est judicieux d’adopter une logique de conception “par la fin” : quelle place auront les données et l'IA dans mon modèle commercial futur ? Quels sont les cas d’usage concrets et pragmatiques et dont la valeur ajoutée peut être testée ?

Intégration : gestion de la continuité des activités (BCM) et continuité des services informatiques (ITSCM)

L’extension de l’infrastructure informatique s’accompagne naturellement de nouvelles exigences opérationnelles. Parmi elles, la sécurité occupe une place centrale. Les impératifs liés à l’exploitation des infrastructures critiques doivent impérativement être pris en compte. Pourtant, la gestion de la continuité des activités (Business Continuity Management – BCM) et la continuité des services informatiques (IT Service Continuity Management – ITSCM) restent encore trop souvent en arrière-plan.

Les récents événements survenus en Espagne et au Portugal illustrent clairement cette réalité : comment garantir la sécurité de l’approvisionnement face à des perturbations ou des défaillances techniques ?

Le BCM englobe la planification, la préparation et la mise en œuvre de mesures visant à maintenir ou rétablir rapidement les opérations, même en situation de crise majeure. L’ITSCM, sous-ensemble du BCM, se concentre spécifiquement sur la continuité et la reprise des services informatiques critiques. Cela inclut la protection des systèmes centraux, les stratégies de redondance et de sauvegarde, ainsi que les plans d’urgence et les procédures de redémarrage.

En intégrant ces disciplines dès les premières phases du projet, on assure une protection renforcée et durable des investissements à travers l’ensemble du paysage numérique

Conclusion

La libéralisation du marché de l’électricité s’accompagne d’incertitudes. Mais une chose est sûre : les investissements dans l’infrastructure informatique, les plateformes de données et les processus orientés clients sont rentables, quelle que soit l’issue politique. Les entreprises d’approvisionnement en énergie doivent agir dès maintenant. Il s’agit d’établir une architecture d’entreprise claire, de répondre aux exigences réglementaires croissantes et de tirer parti des innovations numériques disponibles. Les fondamentaux, notamment la qualité et la fiabilité des données, doivent être traités sans délai, car les prochaines étapes prendront également du temps à être mises en œuvre. Investir intelligemment dès aujourd’hui, c’est s’assurer des avantages concurrentiels décisifs et être prêt pour l’avenir. C’est le moment idéal pour poser les bases de votre transformation.

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Auteur Frank Seifert

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Mots-clés:

Industrie de l'énergie